“Il nous semble plus qu’urgent de faire un pas de côté, de réfléchir à une autre manière de consommer et de s’orienter vers plus de sobriété” Camille Delanoë, My Boo Company

Camille Delanoë, co-fondatrice de My Boo Company, pouvez-vous nous décrire votre parcours et votre projet ?

Nous avons, avec Benoît, des parcours atypiques et diversifiés qui nous rendent difficiles à mettre dans des cases !

Il est diplômé en commerce international et a (presque) parcouru la Terre entière ! D’origine bretonne mais né à Madagascar, il a aussi vécu au Cameroun, au Vénézuela, au Brésil et à Tahiti. Il a travaillé dans les secteurs de l’environnement (traitement des eaux dans l’industrie), de la photographie et du Web. Il a également co-dirigé une entreprise de formation professionnelle (automatisation des chaines de production).

Pour ma part, j’ai une thèse de Doctorat en Biologie-Écologie, spécialité Palynologie, et un DEA en Archéologie. J’ai travaillé en recherche fondamentale sur les prémices de l’agriculture et l’impact des activités humaines sur l’évolution des paysages végétaux sur les 10000 dernières années… Mais j’ai également été enseignante à l’université, en lycée et en classe préparatoire ; j’ai travaillé en conservation du patrimoine au Muséum d’Histoire Naturelle de Nantes, et j’ai été directrice scientifique dans une société d’archéologie préventive. J’ai également co-créé avec trois de mes anciens étudiants une entreprise d’étude d’impact écologique.

My Boo Company, c’est donc l’aboutissement d’une démarche familiale et personnelle engagée dès la fin 2015 suite à une prise de conscience sur notre manière de consommer et la trop grande présence du plastique dans notre quotidien. Sa création en 2016 résulte ainsi d’une mise en synergie de nos compétences complémentaires au service de nos convictions !

Avec mon mari, nous avions une profonde envie d’entreprendre depuis longtemps, et il est rapidement devenu évident que nous devions créer quelque chose en lien avec une réflexion globale que nous menions sur notre mode de vie… Réduction de nos déchets, minimalisme, sobriété : notre entreprise ne pouvait qu’être en adéquation avec nos valeurs et nos engagements.

Pionniers en France, créatif et inventif, nous avons commencé par proposer des brosses à dents en bambou et des pochettes de voyage en tissu surcyclé (alors inconnues ! Nous les avons inventées pour notre campagne Ulule de 2016), rapidement rejointes par une gamme de produits pour une salle de bain et une maison (presque) zéro déchet. En 2016, on nous a beaucoup rigolé au nez lorsque nous expliquions notre démarche ! Sans aucune formation en marketing, nous sommes ce que nous faisons et faisons ce que nous sommes… Rigueur et transparence, sincérité et proximité, bienveillance et optimisme, voilà notre philosophie ! Nous avons souhaité retranscrire notre engagement à travers un univers doux, amusant et sans culpabilisation.

Ressource, fabrication, transport : nous travaillons sur chaque étape pour en minimiser l’impact. De même, en totale cohérence, tout notre quotidien professionnel est réfléchi pour réduire nos déchets et notre impact : surcycler, recycler, recharger. Par exemple, en 6 ans, nous n’avons jamais utilisé de carton neuf pour nos envois aux professionnels : en surcyclant des cartons, nous avons économisé plus de 700 kg équivalent carbone. Nous trions et surcyclons nos quelques déchets au maximum (papier, chutes de carton, chutes de tissu…) — nous ne produisons « que » l’équivalent d’une poubelle de bureau de déchets non valorisables par mois.

Nous sommes fabricants d’une partie de notre gamme, notamment tout le textile et les objets en jesmonite. Nous travaillons également en étroite collaboration avec des artisans français et européen, choisis pour leurs compétences, leur travail artisanal, leur philosophie ou leur volonté de faire mieux avec moins.

Pour nos brosses à dents en bambou, voilà 6 ans que nous collaborons avec la même petite usine familiale en Chine qui ne travaille que du bambou FSC. Benoît s’est rendu sur place, et nous sommes en lien direct avec eux : il s’agit d’un véritable partenariat construit en toute amitié et sur le long terme. Nous sommes la seule marque française a avoir visité notre usine et à pouvoir vous certifier avec exactitude la provenance de ce que nous proposons. Nous n’aurions pas pu faire autrement : c’était contraire à notre philosophie de transparence et de sincérité !

Nous n’avons de cesse de trouver des matériaux durables à l’impact réduit et des solutions pour une fabrication toujours plus responsable et locale. Réfléchir sur notre manière de travailler, sur les matériaux proposés, créer et innover… C’est ainsi que depuis le printemps 2017 nous mûrissons et travaillons sur un projet Low-Tech, de conception et de fabrication d’objets durables du quotidien en matière 100% recyclée et recyclable, en collaboration avec la communauté de recycleurs alternatifs, Precious Plastic. Low-Tech, open source, sobriété, réparabilité, simplicité, un véritable pas de côté à faire pour repenser en profondeur notre société actuelle et envisager celle de demain basée sur un tout autre modèle de fonctionnement.

Enfin, très engagés, nous faisons partie du collectif 1% for the Planet et soutenons des associations actives dans la préservation du milieu maritime : Surfrider et Wings of the Ocean. Nous faisons également de très nombreux dons en nature à des associations ou à des ONG oeuvrant pour la santé des enfants et des femmes, dans l’aide aux personnes sans domicile ou en grande précarité, pour tout événement mettant en valeur les femmes et l’équité (événements sportifs, actions sociales…). Nous organisons très régulièrement des ramassages de déchets et sommes engagés dans une association locale de protection de la Nature.

Selon vous, quels sont les enjeux écologiques prioritaires dans les années à venir ?

Ils sont tellement nombreux ! L’eau, la pollution atmosphérique, la pollution macro et micro-plastique, les pollutions chimiques et médicamenteuses, les extinctions de masse, l’exploitation jusqu’à l’épuisement des ressources naturelles, renouvelables ou non…

Tout est lié et on ne peut séparer tous les enjeux actuels : malheureusement, ils sont aujourd’hui pris et traités individuellement, et les solutions proposées se basent sur le modèle théorique que « toutes choses étant égales par ailleurs » (c’est-à-dire que l’influence de la variation d’une quantité sur une autre est examinée à l’exclusion de tout autre facteur). Ce principe est évidemment faux lorsque l’on parle du vivant dans lesquels de nombreux facteurs interviennent et sont interdépendants.

Pour nous, il n’y a donc pas d’enjeux prioritaires : tous le sont, car ils sont intimement liés. Ainsi, c’est toute notre société et notre mode de vie qu’il faudrait repenser. Il nous semble plus qu’urgent de faire un pas de côté, de réfléchir à une autre manière de consommer et de s’orienter vers plus de sobriété et vers une reconversion de nos civilisations. C’est dans cette perspective et la philosophie Low-Tech open source que nous nous projetons actuellement et que nous envisageons la suite de nos aventures.

Mais pour arriver à cela et nous en sortir (ou retarder notre disparition), il faudrait soit une totale et courageuse refonte des politiques publiques, soit un effondrement de civilisation. Ce n’est pas très agréable à entendre et cela ne fait pas rêver, mais je crois qu’il faut être réaliste ! Nombreux sont ceux qui n’ont pas du tout envie de se remettre en cause ni de repenser leur confort immédiat différemment : la tâche est donc encore plus ardue. Ils ne voient que des contraintes, parce qu’il ne savent pas encore ce que signifie l’heureuse sobriété : personnellement, nous nous sommes sentis libérés et de plus en plus sereins au fur et à mesure que nous nous allégions !

Quels conseils donneriez-vous aux français pour “vivre vert au quotidien” !?

La première étape cruciale est la prise de conscience ! Ensuite, le plus grand conseil est de ne pas tout faire d’un coup, de ne pas tout jeter : c’est le contraire de la philosophie même du zéro déchet ! Utiliser jusqu’au bout vos produits, vos objets, les surcycler, les transformer, les vendre à quelqu’un qui en aurait vraiment besoin…

Ensuite, il faut faire au fur et à mesure. Nous avons fait l’erreur en 2016 de changer radicalement notre manière de faire les courses et de manger… Trop d’un coup, nous n’y arrivions pas et nous n’avons pas tenu plus de deux mois. Alors on est reparti du début et on a fait progressivement, étape par étape.

Aujourd’hui, il y a peut-être deux actions au fort impact immédiat que nous conseillerons :

  • se déplacer au maximum en vélo. Nous habitons un peu en dehors de la ville et, malgré tout, 98% de nos déplacements se font à vélo. Nous sommes en août et voilà 3 mois que nous n’avons pas rempli notre réservoir d’essence (et encore nous avions fait un demi-plein !) !
  • végétaliser son alimentation. Il y a tant de possibilités et de saveurs extraordinaires à explorer ! L’impact de l’élevage intensif est tellement important que, déjà, réduire un apport carné (et bien choisi !) à une ou deux fois par semaine permet de diminuer drastiquement la pression environnementale.

Quelle initiative écologique vous a marqué dernièrement ?

Il n’y en a aucune en particulier… L’écologie, l’économie et le social : nous avons souvent l’impression qu’une dimension en exclut forcément une autre alors que tout devrait être intégré dans un même projet !

Nous faisons le maximum pour rester conscients des conséquences qu’impliquent chacun de nos choix tant personnels que professionnels. Nous n’essayons pas de nous faire passer pour ce que nous ne sommes pas : non, nous n’allons pas sauver la planète avec une brosse à dents, mais nous espérons qu’en proposant une autre manière de penser et de consommer, cela permette d’alléger la dette environnementale de chacun et d’amener le plus grand nombre vers une prise de conscience sur nos modes de vie.

Il est parfois difficile aujourd’hui de faire le tri dans les initiatives proposées, car tant sont empreintes de greenwashing, conscient ou non, répondant à des effets de mode. La gourde, le cure-oreille réutilisable, les culottes de règles… qui n’a pas été bombardé par période de publicités de tel objet puis d’un autre sur les réseaux sociaux ?

Et la brosse a dents en bois est également victime de ce greenwashing ! Alors que nous étions pionniers, c’est aujourd’hui compliqué d’expliquer notre travail de fond, noyé dans une masse de marques peu scrupuleuses sur l’origine de leurs produits. Certains se cachent également derrière un bambou bashing de bon ton, leur permettant de « reverdir » leur image alors que la provenance de certains de leurs produits reste floue…

Cependant, l’émergence d’outils permettant d’aller plus loin dans nos démarches ou le développement de mouvements citoyens de plus en plus impliqués, actifs et non politisés permettent de garder espoir. L’éco-anxiété monte et fait progressivement place à l’éco-colère, et c’est une bonne chose. Il est important que l’on prenne conscience que l’écologie et la protection de l’environnement ne sont pas un programme politique, mais un enjeu de société et de civilisation.

Plus d’informations sur www.myboocompany.fr