“Le plus gros enjeu sera peut-être d’évoluer collectivement vers un modèle de société basé sur la sobriété” Badoum Badoum

Pouvez-vous nous décrire votre parcours et votre projet ?

Badoum Badoum est une histoire de famille : entreprise imaginée par la maman, Irina, et cofondée avec Satyam, le papa, avant tout sur base de notre expérience de parents d’Adrien et Aurélien, aujourd’hui 6 ans et 2 ans.

Nous sommes tous deux d’une génération pour laquelle la question environnementale n’était malheureusement pas encore au centre des préoccupations au moment de nos études et de notre début de carrière, respectivement en école de commerce et école d’ingénieur.

Nos emplois respectifs étaient jusque-là bien éloignés tant de l’économie responsable que du domaine de la petite enfance : deux emplois autour de l’informatique industrielle, après plusieurs années dans le conseil.

Nous avions amorcé notre prise de conscience écologique il y a quelques années, prise de conscience accélérée par notre parentalité, et le sentiment accru de responsabilité vis-à-vis de nos propres enfants.

Comme jeunes parents, nous avons aussi pu constater directement à quel point le secteur de la petite enfance est source de gaspillage : vêtements trop petits, jouets dont l’enfant se désintéresse, cadeaux inadaptés à son âge ou en doublon, chaussures dans lesquelles il ne se sent pas confortable, achats « coup de cœur » à l’utilité discutable…

Les produits durables, bien conçus, fabriqués localement, n’étaient de plus pas toujours faciles à trouver, et surtout hors de prix, même pour nos salaires de cadres.

Deux choix s’offraient donc à nous pour équiper nos enfants :

Le premier : acheter dans les boutiques en bas de chez nous des articles neufs, de piètre qualité, fabriqués à l’autre bout du monde à grand renfort de produits chimiques, usés très vite, et pour un budget malgré tout conséquent.

Le second : faire la pêche à la bonne affaire sur des plateformes de seconde main, avec des expériences très inégales malgré certains achats satisfaisants : état du produit non conforme à la description, délais d’envoi importants, interlocuteurs différents et multiplication des colis, voire arnaque pure et simple dans certains cas heureusement minoritaires.

Avec dans les deux cas l’obligation d’acheter séparément vêtements, chaussures, jouets, livres, articles de puériculture, à moins de se résigner à acheter en grande surface ou sur Amazon.

De ces constats est née l’idée de Badoum Badoum.

D’une part, une boutique en ligne dédiée à l’enfant uniquement, mais couvrant tous ses besoins.

D’autre part, une boutique ne proposant que des articles de seconde main. Pour des raisons écologiques évidentes avant tout, mais aussi pour rendre accessibles des articles durables, de fabrication française ou européenne, labélisés écoresponsables.

Enfin, une boutique en ligne se démarquant des plateformes de seconde main classiques à la fois par la qualité de ses articles et de son service. Nous sommes en effet convaincus qu’un nouveau public est aujourd’hui prêt à s’essayer à la seconde main pour des raisons écologiques, mais sans avoir le temps ou l’envie de chiner dans les vide-greniers ou sur les sites de particulier à particulier. Une boutique proposant une expérience client comparable à celle d’une belle boutique traditionnelle haut de gamme, serait la meilleure façon de le convaincre de franchir le pas.

Cette boutique ne proposerait qu’une gamme de produits de qualité supérieure, en état impeccable, soigneusement sélectionnés parmi une liste de marques premium uniquement, faisant la part belle aux créateurs engagés, et excluant tous les piliers de la fast fashion.

Cette boutique offrirait le niveau de service cohérent avec son positionnement haut de gamme, que ce soit en termes de vérification de l’état des articles, information sur le produit, soin apporté à l’emballage, rapidité d’expédition mais aussi simplicité pour la revente d’articles ou conseils d’achats.

En bref, l’idée serait de faire de la seconde main qui pousse à acheter mieux plutôt qu’à acheter plus.

Donner vie à ce concept, c’était peut-être enfin l’occasion pour nous de concilier un projet professionnel avec notre prise de conscience écologique, que nous ne savions jusque-là traduire que par les petites actions du quotidien. Nous avons donc décidé de nous lancer !

Selon vous, quels sont les enjeux écologiques prioritaires dans les années à venir ?

Le plus gros enjeu sera peut-être d’évoluer collectivement vers un modèle de société basé sur la sobriété.

La transition énergétique est importante, et sa nécessité fait aujourd’hui de plus en plus consensus, même si ses modalités et son calendrier font débat.

Les progrès technologiques en termes d’efficacité énergétique sont eux aussi nécessaires, bien que souvent gommés par l’effet rebond comme ça a été le cas dans l’aéronautique.

Mais ces leviers assez consensuels, parce qu’impactant finalement peu nos modes de vie, ne sont malheureusement pas suffisants. Notre consommation actuelle, même en prenant en compte des hypothèses de progrès technologique ambitieuses, ne pourra pas rester ce qu’elle est indéfiniment, encore moins continuer à croître.

Ce constat n’est ni un appel idéologique à une utopie de « décroissance heureuse », ni le fruit d’une angoisse irrationnelle. C’est juste le constat de tous les scientifiques spécialistes du climat, mais également de la biodiversité, des ressources en eau, de l’énergie, des ressources minières, de l’épuisement des sols, qui essaient de tirer la sonnette d’alarme.

Pourtant au-delà d’un cercle engagé convaincu de longue date, la sobriété n’a fait que récemment irruption au centre des débats. Il y a à peine 2 ans de cela, le Président de la République ironisait encore sur le modèle « Amish » des partisans de la sobriété. Aujourd’hui, les ministres défilent en cols roulés pour encourager les Français à baisser le chauffage.

Mais quand cet impératif de sobriété dicté par la physique fera enfin lui aussi consensus, des défis énormes en termes de société se poseront.

Pendant quasiment toute l’histoire de l’humanité, plus de production, donc plus de travail, plus de technologie et plus d’exploitation des ressources ont été facteurs d’un bien-être croissant pour l’humanité, faisant reculer la faim, la maladie, l’inconfort, la pénibilité physique.

Nos sociétés sont entièrement organisées en fonction de ce paradigme, comme il est facile de s’en convaincre avec quelques exemples.

La bonne santé d’un pays se mesure en points de PIB. L’absence de croissance est synonyme de crise. Nous sommes incités à « travailler plus pour gagner plus », et plus longtemps pour financer nos retraites. Nous valorisons le progrès technologique en tant que tel, indépendamment de sa finalité. Notre modèle économique, conçu à une autre époque, ne tient pas compte de choses aussi vitales aujourd’hui que la dégradation de l’environnement ou la finitude des ressources.

La recherche constante du progrès ou la « valeur travail » sont même ancrées profondément dans notre culture, et nous confondons souvent bonheur et réussite matérielle.

Comment alors passer, en un temps record et de façon acceptable, à une société basée sur la sobriété, donc sur le fait de produire moins et de consommer moins ?

Personne n’a aujourd’hui la réponse à cette question. Mais de notre capacité à la prendre à bras le corps dans les prochaines années dépendra certainement l’ampleur des catastrophes auxquelles nous devrons faire face.

Quels conseils donneriez-vous aux français pour “vivre vert au quotidien” !?

Le principal conseil serait de questionner ses habitudes de consommation : pas dans la logique de se priver, mais dans la logique de s’émanciper des injonctions à consommer des choses dont nous n’avons pas réellement besoin.

Pour faire un parallèle, il existe deux démarches pour perdre du poids. Faire un régime contraignant, frustrant, à la force de votre volonté. Il vous permettra peut-être de perdre rapidement plusieurs kilos, que vous vous empresserez de reprendre lorsque votre résistance à l’auto-contrainte fléchira.

Ou alors, réapprendre à bien manger. A apprécier les choses simples, saines et de qualité plutôt que la nourriture industrielle. A retrouver le goût des aliments sans les masquer derrière un excès de sel ou de sucre. A écouter votre sensation de faim plutôt que manger pour compenser votre état de stress ou répondre à une injonction publicitaire ou culturelle (« finis ton assiette ! »). La perte de poids sera alors moins spectaculaire, mais plus heureuse et surtout plus pérenne.

Le même principe s’applique à la consommation. Réapprenons à bien consommer ! Et pour ça, posons-nous les bonnes questions.

Est-ce que je serai vraiment regardé avec plus de respect parce que je roule en SUV ? Est-ce que je passerai vraiment des vacances plus heureuses sur une plage de Thaïlande que sur une plage de France, d’Italie ou d’Espagne ? Est-ce que les tomates insipides que je mange en hiver sont meilleures que les légumes de saison des fermes de ma région ? Est-ce que mon linge sera moins bien lavé par une lessive certifiée Ecocert que par la lessive de marque « vue à la télé » ? Est-ce qu’un essuie-tout bien blanc ou un papier toilette bien rose apportent une vraie plus-value par rapport à des produits en papier recyclé sans colorant ? Ai-je vraiment besoin de changer mon smartphone tombé par terre, ou puis-je juste faire changer l’écran ? Ou pour revenir à des sujets plus proches de Badoum Badoum, est-ce que mon enfant sera mieux habillé dans un vêtement neuf de mauvaise qualité que dans un vêtement de seconde de main de meilleure qualité quasiment jamais porté ?

En se posant ce genre de question au quotidien, en réapprenant à lire des étiquettes, en s’interrogeant sur ce qui nous est vraiment utile ou nous fait vraiment plaisir, la sobriété n’est plus une privation. Au contraire, en plus d’être bonne pour la planète et le portefeuille, elle a un côté libérateur : elle permet enfin d’acheter en fonction de ses propres aspirations et de ses propres critères, plutôt qu’en fonction des injonctions de la publicité, de la mode, des opérations marketing, des réseaux sociaux, des habitudes !

Quelle initiative écologique vous a marqué dernièrement ?

La formation des rédactions de grands groupes de médias comme Radio France, TF1 ou France Télévisions aux enjeux environnementaux depuis la rentrée 2022. Mieux vaut tard que jamais !

4%. C’est la place qui a été accordée au climat dans les temps médiatiques dédiés à la dernière présidentielle. Pour rappel, le premier tour avait lieu le 10 avril. Le dernier rapport du GIEC a été publié le 4 avril.

La prise de conscience collective des enjeux, des ordres de grandeur, des arbitrages possibles, des évolutions nécessaires, n’est possible que s’ils ont la place qu’ils méritent dans le débat public, et donc dans les médias.

Les intervenants scientifiques sur ces sujets clés ne peuvent plus, comme ça a longtemps été le cas, être cantonnés dans les médias de grande audience à cinq minutes d’intervention coincées en fin d’émission entre le sujet sur l’achat des fournitures scolaires et le reportage sur les vendanges dans le Bordelais.

Ils ne peuvent plus non plus être renvoyés, par inculture journalistique, uniquement à des questions condescendantes sur la température qu’il fait dans leur salon ou sur la dernière voiture qu’ils ont achetée.

Les politiques, eux, ne peuvent plus être interviewés superficiellement sur l’environnement, et les journalistes doivent être suffisamment formés pour être capables de différencier une réponse crédible d’une tentative de greenwashing, et pour relancer leurs interlocuteurs si besoin.

Les membres du gouvernement et du parlement ont d’ailleurs eu droit eux aussi ces dernières semaines à leurs sessions de formation. Néanmoins, le temps consacré et l’assiduité de nos représentants à ces sessions laissent penser qu’il y a encore du chemin à faire pour dépasser l’effet d’annonce. Croisons les doigts pour qu’une meilleure intégration de ces sujets par les médias pousse les politiques à aller dans le même sens !

Plus d’informations sur www.badoum-badoum.com