“L’important n’est pas de tout faire parfaitement tout de suite, c’est impossible. Il faut emprunter un chemin et s’améliorer petit à petit”, Yann Lemoine, Les Biens en Commun

Yann Lemoine, fondateur de Les Biens en Commun, pouvez-vous nous décrire votre parcours et votre projet ?

Je suis né et ai grandi en Afrique de l’Ouest (Niger et Burkina) d’un père français et d’une mère anglaise : ouverture d’esprit, conscience que l’eau courante et l’électricité à la maison ne sont pas “naturelles”, forte sensibilisation contre le gaspillage d’un père né avant guerre et ayant connu 40 ans d’Afrique.

Collège et lycée en Dordogne puis études à Paris : Ingénieur AgroParisTech et Master Spécialisé aux MinesParisTech et TsingHua University (Chine). Spécialisation en gestion de l’environnement.

Début de carrière chez EDF : 3 ans sur un projet international visant à développer une méthode commune à tous les énergéticiens pour mesurer leur empreinte eau (risque d’approvisionnement et impact sur les autres usagers). Intéressant, stimulant et faisant sens à mes yeux. Puis 2 années plus difficiles avec des missions moins stimulantes et faisant moins sens. Je quitte EDF pour rejoindre ForCity, une grosse startup développant des logiciels pour le développement urbain sur Lyon. Malheureusement, l’entreprise fait faillite en Août 2019.

Quelques semaines de réflexion sur quoi faire par la suite. Commence à creuser la faisabilité d’une idée que j’avais eu chez EDF en 2017 : mutualiser l’utilisation de petit électroménager en créant un service de location de ces appareils via des casiers connectés installés dans les halls d’entrées auquel les habitants ont accès à travers une application numérique leur permettant notamment de réserver.

Participation à un concours d’innovation et multiples échanges avec différents acteurs. Retours très positifs : en janvier 2020, je m’y mets à 100% avec l’objectif de déployer un prototype pour montrer la faisabilité technico-économique du projet.

Première population visée : les étudiants vivant en résidence étudiante, mais l’objectif à terme est bien d’équiper le plus d’immeubles possibles sur un territoire pour réduire significativement le nombre d’appareils rentrant sur un territoire, en sortant sous forme de déchets, et augmenter en parallèle les taux de réparation et de recyclage. Tout en démocratisant l’accès à des appareils de qualité pour tous.

Pourquoi est-ce que je pense que cela peut avoir un impact significatif ?

Contrairement aux alternatives actuelles (location en magasin, partage entre voisins), je pense que le service propose une alternative crédible à la propriété. Il apporte les mêmes avantages (proximité, disponibilité au moment du besoin, bon fonctionnement, autonomie), les avantages d’un service géré par une entreprise, et les avantages du partage (accès à plus, mieux, pour moins chers, sans les contraintes de la propriété).

Le service repose sur un modèle économique rentable… et comme on ne fait rien qui ne soit pas rentable dans notre système actuel, c’est important 🙂 .

Le service n’a rien de complexe et, à l’image des vélos en libre service, pourrait essaimer facilement sur un territoire, un pays, le monde.

Imaginez l’impact environnemental positif qu’on pourrait obtenir si dans un immeuble de 40 appartements, on réussit à passer de 40 à 5 aspirateurs ?

Et que ce soit le cas sur un territoire de 1000 immeubles ? Et ensuite sur un pays de plusieurs dizaines de milliers d’immeubles ? Et ce aussi pour les fers à repasser, les perceuses, les appareils à raclette, les mixeurs, les vidéoprojecteurs, etc.

Situation actuelle : un prototype déployé dans une résidence étudiante depuis fin février. Début prometteur malgré une année compliquée.

Objectif de trouver les financements d’ici la fin de l’année pour continuer à développer le concept : déployer le service dans quelques résidences supplémentaires.

Selon vous, quels sont les enjeux écologiques prioritaires dans les années à venir ?

On parle énormément du changement climatique, et à juste titre, mais à mes yeux, il faut bien avoir conscience que ce n’est pas du tout le seul enjeu environnemental auquel on doit faire face et qu’il faut réduire globalement notre empreinte sur la planète.

Demain, si on reste dans ce système producto-consumériste, ce n’est pas parce qu’on sera (hypothétiquement) passé à une énergie 100% non fossile que cela enrayera l’érosion alarmante de la biodiversité, l’érosion des sols, la perturbation des cycles géophysique (azote, phosphore), l’épuisement des ressources en eau, etc.

Il faut donc globalement produire et consommer beaucoup moins, dans tous les secteurs.

Mais cela pose un problème majeur : qui dit moins de production / consommation dit moins d’emplois marchands (on l’a vu avec le covid). Or, c’est aujourd’hui cet emploi qui assure la stabilité de nos sociétés en donnant une rémunération à “tous”. Il faut donc réfléchir à un nouveau système socio-économique qui permettrait à chacun de vivre décemment sans consommation / production massive.

Quels conseils donneriez-vous aux français pour “vivre vert au quotidien” !?

Consommer moins, tendez vers la sobriété, cherchez votre épanouissement et votre bonheur dans autres choses que la consommation matérialiste. Bon ce n’est pas simple car depuis un demi-siècle, tout est fait pour nous pousser à consommer et que ce n’est pas simple de s’en extraire.

L’important n’est pas de tout faire parfaitement tout de suite, c’est impossible. Il faut emprunter un chemin et s’améliorer petit à petit.

Quelle initiative écologique vous a marqué dernièrement ?

J’ai trouvé que la Convention Citoyenne pour le Climat était une preuve incroyable que si l’on donnait le temps et les moyens aux citoyens de se saisir des enjeux écologiques (et en fait de tous types d’enjeux), alors tout le monde serait en mesure de se rendre compte de l’urgence de la situation et comprendrait qu’il faut prendre des mesures “radicales” pour changer de cap, loin de l’écologie punitive mis en avant par certain.

Malheureusement, tant qu’on ne veut pas remettre en cause le modèle socio-économique actuel, il était évident que la majorité de leurs préconisations ne pourraient être appliquées car cela va à l’encontre de la production/consommation de masse.

Quoiqu’il en soit, cela me conforte dans mon idée que si on pariait sur l’intelligence des gens, du collectif, et qu’on arrêtait de vouloir en faire de simple producteur / consommateur, on pourrait vraiment construire un monde plus désirable pour l’avenir, mais aussi pour notre vie de tous les jours.

Plus d’informations sur www.lesbiensencommun.com